Il apparaît vite que celle-ci a été causée par un chandelier. Les soupçons se portent sur Marie Roguin, fille de Silvin Roguin, voiturier par eau journalier, qui est mise en accusation et prise de corps. Elle s’est constituée prisonnière et demande à être interrogée pour faire reconnaître son innocence.
Les interrogatoires
Elle est interrogée le 3 mai à l’intérieur de la prison. Les faits remontent au 8 avril. Voici ses réponses.
Vers les dix ou onze heures du soir, Estienne Billault pénétra dans la maison.
« A dit qu’en y entrant, elle luy demanda ce qu’il cherchait et qu’il luy fit réponce qu’il venoit pour faire rabiller[1] sa culote, à quoy elle fist responce qu’il estoit heure indeue et qu’il sortit.
A dit que le dit deffunct l’ayant voullu toucher et tastoit, elle voullu fuir, Mais que l’ayant poursuivie en divers endroits de la chambre où lors il n‘y avoit point de lumière, il la saisit et getta par deux fois sur un lit luy disant plusieurs parolles salles et luy mettant la main dans le sain malgré la résistance qu’elle faisoit, que s’estant dégagée des mains dudit deffunct, elle sortit pour chercher sa mère qui estoit dans le voisinage chez la veuve Leclair, pendant quoy la ditte Bernier qui estoit restée seulle en laditte chambre, l’apella plusieurs fois, ce qui la fit revenir après qu’elle eust dit à sa mère de venir aussy, et qu’elle ne pouvoit cchevir ? dudit Billault, et sa ditte mère et elle estans entrées ledit Billault se mit encore à la poursuivre, dans lequel temps sa mère luy dist d’alumer de la chandelle pourquoy elle prit un chandelier où il y avoit de la chandelle, et comme elle alloit pour lalumer, ledit Billault se mit encorre à la poursuivre avecq plus de viollance qu’auparavant, en telle sorte qu’il la terassa presque.
A dit qu’elle ne scait pas sy elle le frappa mais comme elle se débattyt fort pour se deffandre de luy, elle pust peut estre l’ataindre dudit chandelier dont elle se deffandoit pour l’empescher d’aprocher, cepandant que ledit Billault ne se plaignit point qu’elle l’eust frappé, ayant toujours continué ses poursuites en sorte que sa mère fust obligée de le pousser dehors ».
Un second interrogatoire a lieu le 6 mai.
Marie Roguin est amenée par le concierge de la prison. Elle fait les mêmes déclarations apportant des précisions :
« A dit qu’il luy proposa de rabiller sa culote à quoy elle fit responsse qu’il estoit heure indue joint qu’il n’avoit lors d’autre culote que celle qu’il avoit vestue. »
Interrogée sur l’intervention du vicaire de Vienne,
« A dit que le sr Boullay vicaire de Vienne l’ayant envoyer quérir par trois fois et fait prier de ne ce pas désobliger elle y fut que y estant led sieur Boullay ayant demandé aud deffunt s’il ne pardonnait pas à elle respondente et led deffunt ayant dit que ouy elle répondit qu’il n’avoit point à luy pardonner que c’étoit au contraire à elle de luy pardonner ne l’ayant ofencé ny frapé. »
Le dossier
Des éléments plaident en faveur de l’accusée. La mère de Estienne Billault ne s’est pas portée civile disant qu’il y avait eu pardon. Les chirurgiens ont jugé « que ledit defunct a négligé de monstrer ladite contusion à son médecin et chirurgien qui luy auroient appliqués les remèdes convenables, et contrariants à la douleur et à la fièbvre qui luy ont causé la mort. »
Silvin Perot, voiturier par eau, ami de défunt, témoigne « luy a entendu dire diverses fois qu’il aymoit lad Roguin que mesme il l’advoit fait demander en mariage ce dimanche dernier de devant sa mère sans ce qui se passa entre eux le samedy dauparavant, et luy a led deffunct dit qu’il l’auroit de force ou d’amityé. »
Le témoignage de Jeanne Bernier, fille habitant chez les Roguin, est crucial. Elle a assisté à la scène.
Restée seule dans la maison, elle « vit qu’elles ne revenoient pas ny l’une ny l’autre et que ledit deffunct en badinant gettoit des chaises dans le feu et renversoit les autres meubles, elle sortit pour les appeler et estant enfin revenues et lad femme Roguin allumant un de ses oribus[2], ledit deffunct prit lad fille autant qu’elle le peult juger il voulut touscher quelque part, elle tenant un chandellier en main put l’en frapper par le bras dont elle n’est néanmoing certaine ne l’ayant pas vue le fraper ; mais quelques temps après led deffunct dist à lad fille tu m’as pourtant frapé par le coude il me fait mal, adjoustant lad déposante que pour lors pendant tout ce temps, dont elle cy dessus parlé, il faisoit fort noir dans lad chambre ny ayant point de lumière ce qui l’empescha de voir sy ou non lad Roguin frapa led deffunct du chandelier qu’elle tenoit mais que le tout se passa entre ledit defunct et lad Roguin ; sinon qu’elle croit que ledit ledit deffunct pouvoit un peuplus de vin qu’à l’ordinaire parce qu’elle l’avoit vu diverses fois dans ladite maison sans y avoir rien faict de semblable.
Dit aussy que lad fille Roguin appellant sa mère comme elle nous a cy dessus dit luy disoit venez donc je ne saurais chunir ? de ce ganbille[3] qui est un nom qu’on luy donnoit. »
Conclusion
Le 6 mai 1690, le bailli de Saint-Laumer élargit Marie Roguin.
« Nous pour les causes résultant du procès ayant esgard que par l’information il n’y a des preuves convainquantes je requiert qu’il soit plus emplement informé […]
cependant ordonnons que ladite Roguin soit mise et eslargie des prisons à la charge de donner
ADLC 38 BV 19
[1] Raccommoder.
[2] Longue chandelle de résine.
[3] Ganbiller : danser, frétiller des jambes.
MeToo à la fin du XVIIe siècle !